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| Visite funeste | |
| | Auteur | Message |
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Tamorin
Messages : 5 Date d'inscription : 10/07/2008
| Sujet: Visite funeste Jeu 10 Juil - 16:25 | |
| Ayant laissé sa monture aux abords du château, à la poigne d'un garçon d'écuries qui bâillait aux corneilles, l'homme au tricorne avance sans charge d'aucune sorte, les mains vides et l'habît de nécessaire. Inexplicablement pourtant, ses bottes sont lourdes comme ferrées, les bras tombants, la mine éreintée qui dépeint sa nuit blanche. D'ailleurs il marche, mais il serait bien capable de tomber. Et c'est non sans soulagement qu'il trouve le chambranle du poste de garde, auquel s'appuyer. Piteuse allure certes, mais l'oeil assuré. Il entre ici pour reprendre son bien, pour faire part d'un deuil, et pour n'y plus jamais revenir.
Un soldat s'approche, le jauge surtout au niveau des frusques défaites, et s'apprête à parler. Le Macaque le devance :
Tamorin Forban... Je dois voir le comte. | |
| | | Theognis L'Eclat de Prométhée
Messages : 607 Date d'inscription : 06/11/2007
| Sujet: Re: Visite funeste Jeu 10 Juil - 17:01 | |
| Le Comte chevauche sur les chemins détrempés de la forêt d'Arquian, content. S'exhale de la terre et des fourrés une puissante odeur, profonde, vivifiante. Ecrasés par les rayons du soleil ardent, ces parfums s'éveillent à la tombée de la pluie, et montent dans l'air aux narines de Théo, serein cavalier qui revient de la chasse. Les bois sont giboyeux, et le butin en dévoile quelques trésors: lapins, sangliers, et au sommet trône un cerf au cou percé de flèches longues. Ses gens le portent, fiers. Les chiens s'agitent autour, jappant et jouant ensemble, gueules ouvertes et yeux pétillants. Théo aperçoit les premiers contreforts du château. Soulagement. Il a faim et soif de vin. Il imagine déjà le cerf braisé, tournant à la broche dans la grande cheminée, dégoulinant d'une graisse délicieuse. Mais à l'horizon se pointe un tricorne qui le ramène au présent. Une réalité bien ennuyeuse. Tamorin. Certes, il a admiré son courage au bûcher de Clevenot, et l'a protégé comme il a pu. Mais son mariage avec Loe, il ne l'a pas encore digéré. Il commence seulement tout juste à en prendre conscience. Théo est lent dans son entêtement. Juché sur son destrier, Etoile d'Argent, le Comte contemple l'intrus qui s'avance vers lui. Il sait déjà ce qu'il veut.
Tamarin! Quel vent t'amène? Je t'avais invité à boire un coup en mon auberge, mais ce n'était nullement une invitation à venir ici. Parle, dis-moi ce que tu veux. | |
| | | Tamorin
Messages : 5 Date d'inscription : 10/07/2008
| Sujet: Re: Visite funeste Jeu 10 Juil - 17:16 | |
| Bouffi de suffisance, comme de coutume, Théognis reste sis sur sa bête pour lui adresser la parole. Beau, le cheval, trempé de la sueur d'une matinée de chasse semble-t'il, pimpant dans sa robe tâchée, par endroits éclatante. On ne peut en dire autant du comte que la fatigue et l'humidité ne mettent pas en valeur. Tamorin relève les yeux vers son interlocuteur cavalier, le visage peint malgré lui de dureté, las aussi.
Ne pourriez-vous descendre ? C'est à vot' oreille que je suis venu parler, point à celle de votre canasson.
Et ce disant, il flatte le chanfrein du destrier, gagnant quelques minutes de calme avant d'entamer un discours qui comme toujours, s'annonce conflictuel, douloureux certainement cette fois... | |
| | | Theognis L'Eclat de Prométhée
Messages : 607 Date d'inscription : 06/11/2007
| Sujet: Re: Visite funeste Jeu 10 Juil - 17:41 | |
| Le Comte sourit. Ce vagabond de Tamorin l'amusait, parfois. Son obstination à lui parler d'égal à égal était touchante, et Théo se sentait d'excellente humeur.
Soit.
Il calma d'un geste ceux qui, armés de gourdins, s'approchaient de Tamorin pour prévenir tout mauvais geste de sa part.
Du calme, il n'est point dangereux.
Il sauta avec souplesse de son cheval, mais atterrit lourdement sur ses deux pieds. Peste, sa matinée de chasse l'avait épuisé. Il écarta ses mèches trempées de sueur, et examina plus avant Tamorin. Il avait la bouche sale et les habits troués, comme d'habitude, mais ses yeux retinrent son attention. Ils étaient empreints d'une souffrance profonde, maquillée d'une dureté factice. Ses lèvres tremblaient. Ses gestes n'avaient plus cette nonchalance provocatrice, ils étaient nerveux, empruntés. Plus il le regardait, en silence, et plus Théo se posait des questions. Le Comte claqua des doigts.
Qu'on amène une outre de vin et des cornes à boire!
Le Comte lâcha la bride de son cheval, et se dirigea vers une table en pierre entourée de bancs, sous l'ombre d'un chêne qui protégeait du soleil et de la pluie. Il s'assit là, et Tamorin n'eut pas d'autre choix que de le suivre, puisqu'il voulait lui parler. Détendu, les pieds sous la table, savourant une gorgée de vin, Théo ne dit rien, mais regarda le visiteur en attendant qu'il parle. | |
| | | Tamorin
Messages : 5 Date d'inscription : 10/07/2008
| Sujet: Re: Visite funeste Jeu 10 Juil - 19:14 | |
| Pourquoi boire, pourquoi s'asseoir... Les délais sont autant d'obstacles qui exaspèrent le Forban. Les minutes avancent, confisent son mal. Qu'importe les cérémonies, elles semblent bien illusoires dans les circonstances présentes. Il songe par tant à attraper la manche de Théognis et à lui balancer les faits de but en blanc, mais l'autre s'éloigne d'un pas serein pour aller prendre siège sous un chêne de sa propriété. Forcé de suivre... Tamorin lui fait face tel un automate, les mains sur la pierre.
Du vin est servit, mais il ne songe pas à le boire. Tout ça aux vivants. Lui, ses papilles sont déjà nourries d'amertume. Un instant son regard se perd sur la table de pierre du même gré que l'autel de son mariage sur lequel du sang avait bien faillit couler. Ses bottes se rejoignent sous le banc, frottant cette terre bourguignonne qu'il a trouvé et qui l'a perdu. Chercher les mots... Ce n'est pourtant pas ça qui lui manque d'habitude, les mots. Il sait en sortir à la pelle, débâillonné d'insolence. Mais lorsqu'il est muet, c'est bien le signe qu'une chose ne tourne pas rond.
Par où commencer... Il revoit la scène macabre et pluvieuse du duel, le front de Sylphaël contre sa tempe et la boue trempée de rouge. Puis le matin en clairière de forêt où il a découvert le campement désert, couche froide de Loewenne, panier vide de Tybalt. Enfin cette fameuse avant-veille... Leur étreinte aveugle dans la ruelle, la course nocturne effrénée, ce tissu gonflé d'eau s'enfonçant dans les rides noires de la Saône. Des souvenirs il passe au présent d'un clignement des yeux, nerveux. S'accrocher à ce qui reste...
Il parle, s'abaissant au calme :
Théognis, où est mon fils ? | |
| | | Theognis L'Eclat de Prométhée
Messages : 607 Date d'inscription : 06/11/2007
| Sujet: Re: Visite funeste Jeu 10 Juil - 19:34 | |
| Il manque de s'étouffer en avalant de travers une gorgée du vin chaud. Hilare, il essuie sa bouche de son large revers de manche, et considère Tamorin. Le Comte est incrédule.
Comment? Te rendre ton fils? Palsambleu, voilà une demande fort peu convenable.
Il repose la corne dans son anse, puis embrasse d'un large regard le château qui lui fait face.
Sa mère est venu lui déposer ici, pour échapper aux griffes de son père. J'ai accepté de le prendre à ma charge, de le soigner, de le nourrir. C'est un garçon solide, il le fallait pour survivre à vos pérégrinations. J'en ferai, si Aristote le veut, un écuyer, voire un chevalier, doué aux armes, et courtois envers les dames. Il sera le compagnon et l'ami de mon fils, Tancrède. Un bel avenir se présente à lui, ici. Sa mère me l'a confié, et je n'ai pas du tout l'intention de le rendre à un homme comme toi. Certes, je vois que tu t'es lié à un maître. Décision fort sage. Mais seule sa mère pourrait venir le chercher, et je ne la vois pas. | |
| | | Tamorin
Messages : 5 Date d'inscription : 10/07/2008
| Sujet: Re: Visite funeste Jeu 10 Juil - 21:07 | |
| La description de l'avenir envisagé pour l'enfant est comme une gifle au visage du père. La révolte le fait bouillir intérieurement, peut être qu'un peu de sang lui monte aux joues mais il tente de n'en rien montrer. Dans l'instant, il a la ferme impression de revivre une traque de la maréchaussée à ses trousses. Cet état de piège qui se referme, annonçant aussi bien le loquet de geôles que les clefs d'un destin mal donné.
Loewenne avait été bien inconsciente... Voulant éviter à tous prix l'éducation de Tybalt proposée par Gaborn, elle avait laissé leur fils aux pattes d'un pire que le Louans, qui non content de lui donner ses principes, allait sans nul doute user de lui comme instrument d'une vengeance personnelle. Tamorin garde un silence de marbre. Fallait-il qu'en deux jours il perde et son épousée, et le fruit de leur union ?
D'un coup sec, il se dresse et envoie valser a corne de vin du comte. L'alcool renversé dessine une large gerbe bordeaux à la surface de la table.
Tu ne la verras plus.
Le tutoiement lui échappe. Il a lâché les paroles comme une injure. Le souffle brisé, s'amollissant de sa colère, il a les yeux figés dans ceux de l'autre. C'est statufié qu'il reste, les nerfs épuisés n'empêchent pas le tremblement. Tant pis la faiblesse, a-t'il jamais été crédible...
Elle s'est noyée dans le fleuve. | |
| | | Theognis L'Eclat de Prométhée
Messages : 607 Date d'inscription : 06/11/2007
| Sujet: Re: Visite funeste Jeu 10 Juil - 22:46 | |
| Il a ce léger sourire méprisant, celui qui a le don de mettre Tamorin en colère, et il le sait. La chasse a été bonne, il peut donc s'amuser un peu, pense-t-il. Il le regarde donc avec joie répandre le vin sur la table. C'est comme si Théo sentait dans le cou de Tamorin le souffle des gardes prêts à le bastonner. Sa phrase le douche complétement, de la tête aux pieds, et dans sa gorge le vin devient poison, et dans ses jambes le sang se transforme en glace. Un souffle ténu s'échappe de sa bouche ouverte comme un four, tandis qu'il manque de peu de basculer en arrière sous le choc de la révélation. Dans l'instant, ses yeux s'emplissent de larmes. Mais il ne pleure pas. Du moins, pas encore. Il bégaye.Mais...Comment....Tamorin lui raconte alors toute l'histoire. Le Comte est choqué. De vieux souvenirs remontent à la surface. Il n'a rien oublié, l'attaque des brigands, la mort de Lara, la mort de Corwynn, son désespoir, Fulbert, vieil ami brigand qui mourra à Dijon, Joey....Ses images tapent à sa mémoire comme l'enclume qu'un forgeron frappe à cadence régulière. Il ne peut plus parler pendant un moment. Il ne sait que dire. Quoi faire. Où aller. Le vin n'a plus de saveur, l'air n'a plus d'odeur, la viande n'a plus de goût, et le cerf gît, horriblement abattu, la langue pendante et les yeux exorbités. Ce n'est qu'après un long moment, la parole menacée par un orage de larmes prêt à éclater, qu'il réussit à dire, hoquet sporadique d'une lucidité évaporée.Tybalt....Restera ici. Comme le voulait Laralin. | |
| | | Tamorin
Messages : 5 Date d'inscription : 10/07/2008
| Sujet: Re: Visite funeste Ven 11 Juil - 0:47 | |
| A la table baignée de vin, le comte est assis et énonce sa sentence d'une voix brisée. Tamorin attend, debout. Il le sait, sa colère - cette hargne indomptable qui toujours en ces circonstances le surpasse, le fait trébucher, parfois pour ne pas se relever - va grimper doucement et lui faire commettre un acte regrettable. Ainsi, ses veines aux poings deviennent froides, ses dents se serrent progressivement, et son coeur lui, rythme tel un tambour une marche galvanisante.
S'il avait été seigneur... S'il avait seulement... L'injustice est flagrante, à se demander si le jeu de cette vie n'est pas truqué. Un seul homme en pouvait-il supporter la moitié ?
Nozeroy est à sa portée. Un frémissement dans la main droite lui dicte violence. Et après ? Il sera mis à mal par la garde, pendu s'il l'a étranglé, et Tybalt de toutes manières aux mains des autres. Mais du moins frapper cet homme à sang... Qu'est ce qui le retient ? La paume de Loewenne n'est plus là pour se glisser dans la sienne et retenir ses coups. Une pression infime aurait suffit, à son épaule, à sa nuque... Un mot soufflé et il aurait laisser tomber ses armes. Une vague de douleur le submerge quand il songe qu'elle doit à présent être tapie de tout son long au creux du lit du fleuve, paisiblement empêtrée dans sa robe gorgée d'eau, sereine de savoir à l'écart les hommes prêts à s'entre-tuer pour elle. Un haut le coeur l'étreint, il n'en veut plus imaginer d'avantage, et soudain fond sur Théognis. Ce dernier se lève du même mouvement. Il l'attrape par les épaules, de toute sa poigne et...
... l'étreint.
Il s'est si bien fait violence qu'il ne peut décrisper les bras. Sa haine fond dans un torrent interne de chagrin alors qu'il embrasse de son deuil celui de Théognis. Les yeux rougis, l'âme battue, il est bien loin de ressentir de l'humiliation. Car il n'a rien perdu, il a tout donné...
Respecte ton engagement vis-à-vis de Loewenne, tu es homme de foi. Un silence dans lequel il déglutit. C'est mon fils... je reviendrai le chercher quand y sera temps. | |
| | | Theognis L'Eclat de Prométhée
Messages : 607 Date d'inscription : 06/11/2007
| Sujet: Re: Visite funeste Ven 11 Juil - 16:44 | |
| Il pose la main sur l'épaule de Tamorin et acquiesce en silence. Il ne sent plus capable de faire l'effort de parler. Il se rend à peine compte de ce qui vient de se passer. Tout au plus voit-il à l'horizon les hommes qui reculent d'un pas indécis. Alors, Théo se dégage de l'étreinte de Tamorin, avec une grande douceur, une affection nouvelle, qui réunit dans la douleur deux hommes que tout oppose. Ils pleurent la femme qu'ils aimaient, de manière différente, mais aussi intensément. Plus tard, la réflexion fera son œuvre, et le ressentiment peut-être prendra la place de la consolation. Il lève la tête aux yeux mouillés, et s'adresse à ceux qui lui font face.
Allez le long de la Saône, en partant de Chalon, et ramenez-moi le corps de la fillote, qu'elle soit enterrée décemment. Quant à cet homme, laissez-le partir. Vous me préviendrez quand il reviendra. Que nul ne porte la main sur lui. | |
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