Les téméraires (suite de la cour du château)

L'Eclat de Prométhée Messages : 607 Date d'inscription : 06/11/2007

Quelques jours après

Une tasse de tisane. Brûlante, comme il aime à se brûler la langue. Mathilde vient de la poser sur une table basse, puis de partir, pressée par la voix impérative du Baron. De son siège aux accotoirs vêtus de velours,Théo contemple la tasse. Il serre les dents. Sa main valide empoigne la crosse à tête de lion finement sculpté dans le bois, son pied caresse la chute de bronze, comme s'il voulait s'élancer en avant, plonger dans la coupe.
Lentement, comme un chat avisant sa proie, il tend sa main droite en avant et saisit délicatement l'anse de la tasse. Ses doigts tremblent un peu, mais tout son être est concentré pour la bonne réalisation de cette opération. Il commence à soulever la tasse. Ses yeux s'enflamment. Une goutte de sueur roule sur sa tempe. Sa mâchoire se crispe encore. Il a affreusement mal.
Sous la chemise brodée, sous le pansement épais, son épaule le tance à chaque mouvement. Son épaule, percée par une lance, à Compiègne, quelques jours auparavant. Mais Théo s'accroche, il veut soulever la tasse, la porter à ses lèvres, boire la verveine délicieuse et s'enivrer de son parfum. C'est de l'or qui coulera en ses veines.
Ses doigts tremblent, de plus en plus. A tout moment, le liquide brûlant menace de déborder, de se renverser sur ses doigts. Alors, sans la regarder, par réflexe, il approche son autre main. Sa main gauche, celle qui tenait le bouclier, celle qui montre ses phalanges brisées. Le Baron d'Arquian pose l'attelle sur l'enrobement de la tasse. Ses bras sont tendus en avant, ses lèvres sont les péninsules de son visage. Mais il faut maintenant plier les bras, amener le précieux liquide à sa bouche en se méfiant des gouttes brûlantes. La douleur, sous le pansement, s'accroît. Mais Théo est têtu, la force de sa volonté semble sans limites. La coupe s'approche. Les premières fumerolles piquent le nez. La chaleur devint plus intense. Dans un ultime effort, le cou se tend au maximum, jusqu'à la délivrance.

Posant les lèvres sur la tasse, le châtelain d'Arquian boit une petite gorgée de tisane.

Réveillé par la douleur, Gorborenne se redresse. Dans sa tête, les dernier soubresaut de ses cauchemars mêlent passé et présent si bien qu'il faut quelques instants au Chauve pour se rendre compte qu'il est dans le grand salon du castel d'Arquian. Puis les souvenirs reviennent. La bataille, les blessures, la douleur. La douleur à son flanc gauche. Sa cote de maille et son agilité lui ont évité la mort plusieurs fois en l'espace de quelques battements de cœur, mais cela n'avait pas suffit à arrêter le puissant coup d'épée qui lui taillada violemment la chair au travers de l'armure, lui brisant quelques côtes au passage.
Et ses jambes aussi. La droite était toute gonflée au niveau de la cuisse, froissée par sa réception maladroite quand il fut éjecté de son cheval, et la gauche, quand à elle, et bien, il l'aurait probablement perdue si son épée n'en avait pris la place. L'acier de son arme avait volé en éclat en parant le coup d'une lourde masse d'armes, mais cela l'avait suffisamment ralentie pour que l'impact sur sa jambe ne fasse guère plus que lui fêler les os. Quoi qu'il en soit, il ne risquait plus de pouvoir courir avant un bon moment.

Installé contre le mur, près de l'âtre, sur une banquette aménagée en confortable couche, le Chauve rumine en silence. Près de lui, le Baron semble se battre pareillement contre ses blessures, voulant forcer la guérison, ne supportant pas d'en rester là. Bien qu'ils se savent l'un l'autre éveillé, le silence demeure pour l'instant seul maître de la conversation. Non pas qu'il pèse, mais ni l'un ni l'autre n'est du genre à ce lamenter ou d'avoir besoin de mots pour cicatriser.

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