Un prétexte tout trouvé pour la revoir

Il avait chevauché depuis l'aube, sous une pluie battante, son cheval renâclait à présent et il arriva trempé jusqu'aux os ! « Les terres d’Arquian », il murmura ce nom tout haut, un sourire effleurant ses lèvres. D’elle, il ne savait ni son nom, ne connaissait pas son visage… Juste qu’il lui fallait aller sur les Terres d’Arquian pour la retrouver. Il se souvint de leurs étreintes et une chaleur embrasa ses reins. Costumés tous deux, masqués pour le bal, ils avaient flirté toute la soirée, se cherchant, se frôlant puis la collant contre une porte pour l’embrasser, ils avaient eu l’agréable surprise en s’appuyant par hasard sur un levier de voir un passage dérobé qui les avait conduit dans un boudoir aux volets et portes fermés. L’appréhension d’être découverts avait rendu l’instant magique. Il l’avait penché en avant, l’appuyant contre une causeuse, la jupe s’était relevée, leurs souffles étaient devenus courts, les gémissements lancinants et longs, son parfum envoûtant et le goût de sa peau inoubliable…

Leurs masques n’étaient jamais tombés et quand il voulut savoir son nom, elle avait disparu. Il était marqué au fer rouge, il avait cherché à l’oublier, puis avait renoncé ! A présent il était là, devant la porte de la battisse, se demandant comment il pourrait entrer quand un parchemin placardé attira son attention. Une joute verbale était organisée. Le sourire aux lèvres, il poussa son cheval vers le pont levis. Il aimait jouer avec les mots, il avait donc un prétexte tout trouvé !

Quand enfin il fut au poste de guet, il cria pour couvrir le bruit de la pluie.

- Garde annoncez-moi ! Je suis Briac d’Astella, Seigneur de Navarre et Comte de Gascogne, je viens jouter avec ma plume et demande l’hospitalité !

Toujours sur son cheval il attendit qu’on lui ouvre et qu’on l’accueille avec tout le respect dû à son rang.

Une joute poétique....En se penchant au-dessus du parapet mousseux, il se rappela les consignes de son maître....Des troubadours viendraient, des ménestrels, des gens d'esprit. Tout cela ne lui disait rien de bon. Dans son enfance, les troubadours venaient souvent au village voir sa mère, et elle racontait à son fils qu'ils venaient lui chanter des sérénades, mais uniquement à elle. Pendant ce temps, il avait quartier libre pour caillasser des chats ou se battre avec les enfants des métayers.

Bref, il ne gardait pas un épique souvenir de ces hommes au bel organe. La pluie tombant dru sur la salade faisait tout un tintamarre. Elle l'empêchait de penser correctement. Par bonheur, le vougier ne pensait jamais.

Comte de Gascogne?

Le soir tombait et on y voyait comme dans le cul d'une poule, l'expression préférée de sa tante. Aussi, dans un étonnant geste d'hospitalité, un grognement bourru suivi d'un geste bref, il invita le Comte à se réfugier sous le porche, pendant qu'il descendait à sa rencontre, dans un vacarme métallique.
Une fois en bas, la main serrée autour de sa vouge, arme d'hast spécialement adaptée aux cavaliers, il demanda avec un pouillème de politesse dans la voix.

Votre bague de sceau? Votre blason?

- Et pourquoi pas ma femme pendant que tu y es ? Si le pays de Navarre existait j'en aurai un blason, tiens voilà ma bague !

Il lui lança une bague, une chevalière avec une fleur de lys. Bijou commun qui représente le symbole du Roy de France, mais qui n'indique rien de particulier. Bien sûr pour pouvoir l'acquérir il fallait être fortuné ou bien être fils ou neveu de... Il la reprit dans un geste brutal, l'arrachant presque aux mains du vougier et la remit à son annulaire.

- Il suffit Vougier, ouvres cette porte ! Il fait un temps de chien et je suis las !

Le ton était sec, mais pas agressif, il n'avait qu'une hâte, entrer pour descendre de cheval et enfin être au chaud.

Le vougier n'avait aucune idée de ce que pouvait représenter le lys, mais c'était un beau symbole, selon son avis faiblement éclairé par des années de néant culturel. L'homme avait des manières un peu abruptes, mais n'était-ce pas là la marque de la noblesse? Le vougier ne connaissait pas beaucoup de nobles, mais il se souvenait de ceux qui avaient enlevé toutes les femmes du village pour organiser une fête en leur château. Gamin à l'époque, il avait vu sa mère pour la première fois avoir peur des hommes. C'est que ces nobles, bourrus hommes de guerre, ne possédaient pas l'élégance des troubadours....
Bref, la chevalière fit impression sur le vougier. Il savait à présent que la fleur de lys était le symbole de la Gascogne. Chose importante à savoir quand on est homme de garde.
Il s'écarta pour le laisser passer, tenant sa vouge contre l'épaule.

Vous pouvez entrer.

Augias!

Cria-t-il pour appeler le palefrenier.