De l'or pour les braves

La nuit avait vu des yeux ouverts, fixés sur quelques reflets de lueurs qui dansaient le long d'un plafond tendu de velours.
Et si les pensées avaient tracé des toiles le long des murs peints, le cocon de l'arachnide aurait été protégé contre tout danger tant la Renarde avait tissé de réflexions.

Dans quelle galère était-elle embarquée ?
Au départ, une négociation autour d'un fief avait réuni les Volvent et le Baron. Della avait envisagé uniquement des discussions autour de biens matériels. Et par un tour de passe-passe, le sujet avait glissé, de sa faute à elle, sur un mariage. Si l'idée ne l'avait pas emballée au départ, il fallait bien avouer que le dit Baron avait éveillé en elle quelques raisons qui avaient fait penché la balance...Ne revenons pas sur ces raisons, elle en avait assez rougi, seule, cette nuit.

Mais ce qui la tourmentait plus, voire même avait tendance à chatouiller son ego, était le fait que le Baron, face à un mariage doré présenté sur un plateau d'argent, semblait dubitatif.
En effet, Della était la protégée de la Duchesse de Nevers, elle-même Présidente de l'Assemblée de la Noblesse, Duchesse qui aurait à coeur de valoriser le mariage de sa dame de compagnie par une dote plus qu'intéressante qui reviendrait comme il se doit, au prétendant. La Renarde n'était pas trop vilaine et de surcroit était immaculée, pas trop idiote et à la tête d'une famille de bonne réputation. Elle possédait de sérieuses capacités de gestion et savait se faire entendre.
Ne cherchant pas dans un mariage, un amour passionnel -quoiqu'on ne sait jamais ce qu'il peut arriver- ni possessif, elle saurait être épouse sans devenir une de ces femmes posant mille questions sur les activités de leur époux, allant jusqu'à les faire surveiller. Si son époux réclamait un héritier, elle se ferait un devoir de le lui donner et se tiendrait à son rôle, ne donnant absolument aucune raison à son époux d'avoir à lui faire des reproches d'aucun ordre.

Que tirerait-elle, elle, de ce mariage ? La certitude que Beaumont resterait aux Volvent, le nom de son époux accolé au sien et prévalant bien entendu sur celui-ci. Elle serait...épouse et heureuse de l'être.
N'oublions pas non plus qu'elle pourrait découvrir enfin l'ivresse des sens dont elle n'avait eu qu'un avant goût, la veille. Et là...elle était fragilisée.

Pourtant, elle n'avait absolument aucune main mise sur la décision de Theognis à qui reviendrait de sonner ou non le glas.



Après m'être levée aux aurores, avoir grignoter plus que manger le repas apporté dans ma chambre par Mathilde, m'être vêtue et apprêtée, le moment était venu de retrouver mon sanglier. L'image me fit rire, au milieu d'un corridor, seule.

Godefroy avait signifié qu'il ne reviendrait pas et j'ignorais où il avait couché, au final, ne l'ayant pas revu la veille.

J'avais quitté la lice une première fois, seule. J'y retournerai seule.
Theognis ne me faisait pas peur. C'était de moi que j'avais le plus à craindre.
Mes pensées de cette nuit risquaient de me revenir et comme je me sentais vexée, même si je refusais de me l'avouer, il me fallait dominer une certaine aigreur qui aurait eu tendance à tout envenimer.
Beaumont devait rester le centre de mon attention.
Le reste et moi comprise, seraient pris en considération plus tard.

Devant la porte du salon, je pris un temps d'arrêt.
Robe lissée, cheveux inspectés d'une main fébrile, profonde respiration et...je frappai à la porte.

Baron ? Puis-je entrer ?
J'hésitai. Devais-je ajouter qui frappait à la porte ? Je jugeai que non. Il devait connaître ma voix, nous avions assez discuter pour ça.

L'odeur de sanglier avait disparu mais le regard profond et intense était intacte. Theognis me troublait, réellement et j'aimais ça.
Je ne cachai pas mon plaisir lorsque ses lèvres frôlèrent ma main et je lui adressai un sourire que je voulais charmeur et charmant.

J'ai passé une excellente nuit. Répondis-je. Et c'était vrai. Ma nuit n'avait pas été reposante mais je l'avais appréciée, toute habitée de mes pensées entremêlées.

Et vous ? Risquais-je en prenant place dans un élégant fauteuil à haut dossier.

Ma main couru sur le tissu de ma robe, négligemment...
Mon frère ? Je n'en sais rien. Je ne l'ai pas revu. Mais s'il a logé aux écuries, il ne viendra pas. Je souris, cette fois, de façon moqueuse et en appuyant sur les écuries. Je me doutais que Theognis allait tiquer et cela m'amusait à l'avance.
Chat-souris...lequel aura l'autre ?

Commençons sans lui. Ou plutôt, recommençons.
Je fixai à nouveau les yeux d'un bleu plus sombre que les miens et...Godefroy sera un excellent vassal, j'y veillerai, vous avez ma parole. Pour les 1500 écus à vous verser, il nous faudrait convenir d'une date et d'un témoin. Vous comprendrez que je ne me démets pas de cette somme sans garantie, sans vouloir aucunement vous vexer. Le vin...vous me direz où vous souhaitez qu'il soit livré et à quelle période...en une fois ou chaque mois, régulièrement.
Jusque là, je me sentais à mon aise. Les transactions de biens et d'argent, je connaissais et maîtrisais parfaitement. Jamais aucun marchand ne m'avait roulée.
Pour la suite...par contre...
Quant au dernier point, plus...délicat...J'appuyai le mot par un jeu de sourcil à la Volvent...Vous détenez les cartes.
Ayé, ma gorge se nouait.

Prenant place en face de Della, ses yeux pétillent à l'évocation de l'écurie. Il s'en fiche un peu, à vrai dire, que son frère ait connu une nuit inconfortable. Cette paille drue et piquante est le lit des déceptions de Théo. Des vignerons....Soupir.
Le Baron joint ses mains souples et puissantes sur le marbre rose glacé. Habiles à manier l'épée comme à manipuler le corps des femmes, elles sont la fierté de Théo. Comme il n'a pas obtenu la nuit promise par l'entrevue précédente, elles sont un peu nerveuses en cette matinée. Elles saisiraient bien le menton de la blonde pour approcher le velours de ses lèvres contre les siennes. Le commerce, les écus, les transactions, quel ennui! Mais il s'efforce de garder leur maintien, comme il s'applique à l'écouter au mieux. Des cartes....

Une partie de ramponneau, ma chère Della? Si vous gagnez, alors vous pourrez me demander ce que vous voulez, si vous perdez, ce sera à moi d'en décider....

Il lui tend le parchemin contenu dans le sous-main, sur lequel est écrit:

Citation :

Moi, Theognis Montereau, Baron d'Arquian et de Seignelay, pour la prospérité du duché de Bourgogne, sous les auspices du Très-Haut, déclare:

Pour la Seigneurie de Beaumont, fief attaché à la Baronnie de Seignelay, Godefroy-Ganju de Volvent en sera le seigneur et maître, devenant mon vassal par ma seule volonté.

S'il respecte ses devoirs et n'outrepasse pas les droits que je lui confie, en son nom la famille de Volvent aura toute liberté pour cultiver et exploiter les terres de Beaumont, ses vignobles, ses bois et ses pâturages.

En gage de ma volonté, une somme de 1500 écus sera versée à la signature du présent document. 6 tonneaux de vin seront fournis par la famille de Volvent pour contribuer aux festivités de la cérémonie d'allégeance.
D'autre part, une rente perpétuelle sous la forme d'un tonneau de vin sera versée chaque mois, nécessaire impôt sur les récoltes du vignoble de Beaumont.

Dès que Théo vit Della en finir la lecture, il ajouta:

Que tout soit résolu avant la mi-Janvier.

Sa voix avait perdu ses plaisantes intonations, elle était ferme et résolue.

Pas le temps de réagir à la provocation des cartes que je trouvai un parchemin sous mes yeux.

Lecture rapide d'abord.
Les termes convenus...Beaumont revient aux Volvent. Je devrais m'en réjouir. Je le ferai peut-être, plus tard. Mais là, un froid glacé venait de plomber l'atmosphère. Une drôle de boule vint se loger au fond de ma poitrine, m'empêchant presque de respirer...Je devais être pâle comme la mort. Si je ne me retenais pas, j'irais ouvrir la fenêtre pour y respirer de grandes goulées d'air. Etais-je déçue ? Possible...Soulagée ? Aucune idée...Paralysée, ça oui.

Surtout ne pas relever le regard, relire, une fois encore.
Et relever le petit truc...

Il faudra le signer et y apposer votre sceau, je suppose que vous en avez un.

Je reposai le parchemin, délicatement, craignant de voir les lettres s'envoler, s'emmêler et écrire d'autres mots.

Au prix d'un violent effort, je posai encore une question.
A qui devrais-je remettre l'argent et le vin ?

Puis...Il vous faut prévenir Theudbald également, pour l'enregistrement du fief. Il...il...enfin, je suppose que vous connaissez les démarches administratives.

Et, je me devais de...Je vous remercie, Baron. Godefroy ne vous décevra pas.

Pour quelle raison étrange me trouvais-je idiote ? D'où me venait cette impression d'une abominable absurdité ? J'obtenais ce que j'étais venue chercher et cette drôle de victoire me goûtait comme un mauvais vin.

Je me levai puisqu'il semblait que je serais rentrée chez moi bien avant la tombée de la nuit...

Il ne répond pas à cette question, elle ne l'écoutera pas. Il se lève et lui saisit le bras. Troublé, charmé, par cette émotion féminine sous cette apparence glacée. Les yeux de Della ont les couleurs de l'espoir en douleur. Théo a perdu toute contenance maîtrisée. Ce n'est plus le Baron qui parle, mais l'homme.

Attendez, ma chère Della....Sachez que je suis fort intéressé par un mariage, j'apprécie même votre courage de vouloir en conclure un avec moi....

En a-t-il trop dit? Pour faire diversion, sa main libre s'abat sur le bureau et saisit un second document, scellé celui-là.

Citation :

A l'attention de Son Eminence Ecaterina de Sevillano, Cardinal- Archevêque de Besançon

Nous, Cardinaux du Consistoire Pontifical Francophone, en vertu des pouvoirs qui lui sont conférés, annonçons l'acceptation du verdict proposé quant à la demande de dissolution de mariage de Macricri et Théognis .

Attendu que le droit canon dispose que

- Article 6.1 :La disparition des sentiments amoureux entre les époux,
- Article 6.2 : L’adultère commis par l’un des deux époux ; le conjoint fautif étant frappé d’interdiction de remariage.
- Article 6.2 : L’abandon du domicile conjugal par l’un des deux époux pendant un temps supérieur à 3 mois. Le conjoint reconnu coupable de négligence conjugale est passible de l’impossibilité de remariage.

Attendu qu’en l’espèce, l’officialité a pu constater que les époux avaient effectivement trompés leurs conjoints et que l'amour avait quitté leur mariage.

Attendu qu’en conséquence il convient de prononcer la dissolution du mariage entre les deux parties.

Cette annulation est assortie des pénitences suivantes :

Interdiction de mariage de 8 mois pour Macricri et 12 mois pour Théognis.
Possibilité de demande d’annulation d’interdiction après 4 mois pour les deux.

Théognis devra :
- Refaire une pastorale
- Faire des travaux ménagers dans l’intérêt de la cathédrale.
Macricri devra :
- Fréquenter l’Eglise 4 fois par semaine, durant 4 mois.

Qu'Aristote les aide à obtenir l'absolution!

Fait à Rome le 30 Octobre 1457,
Au nom du Consistoire Pontifical francophone,
S.E Ecaterina de Sevillano Cardinal National Electeur

Observant les réactions de la jeune femme à la lecture du parchemin, il ajoute:

Vous comprenez maintenant pourquoi ma plume a ignoré les douces attentions que nous échangeâmes hier soir. Je ne pourrai me remarier au mieux avant le mois de Mars. Notre union pourrait voir le jour du Printemps, ce qui serait un beau symbole. Mais bien des étapes doivent être franchies....Voir votre suzeraine, tout d'abord....Et je vais mener campagne en Provence, avec tout les risques que cela implique...Puis....

Lâchant son bras, il s'adosse au bureau, songeur.

Le mariage reste un souvenir douloureux que je ne peux balayer d'un revers de la main....Une épouse qui me trahit et qui enfante dans mon dos, quand je suis en retraite spirituelle dans un monastère pour me faire pardonner mes péchés....Un amant détestable, si pitoyable que je n'ai pu le tuer....Une comparaison bien peu flatteuse avec moi....J'en suis encore marqué en mon âme et en mes chairs....
Maintenant, vous en savez un peu plus sur moi. Vous pouvez partir et reprendre la route de Beaumont, si vous le désirez. Mais, avant, répondez à cette question....Qu'attendez-vous d'Arquian? Que désirez-vous lui donner?

Relevant ses agates d'un bleu de ténèbres vers elle, il sut qu'il ne lui avait pas tout dit. Chère à un Dragon est sa liberté. Pour le Baron, elle était qualité essentielle....Qu'elle intrigue pour obtenir son rang, soit. Mais quel bonheur peut-il venir de lui?

Arrêtée dans mon départ, je me retournai vers le Baron, sous la poigne douce mais ferme de sa main, pour y découvrir un regard différent. Avais-je remarqué qu'il avait ces yeux d'un bleu profond ? Oui...mais...mais avais-je aussi noté qu'ils avaient cette intensité ? Hmmm...peut-être pas. Etait-ce la même personne que j'avais devant moi, qui me tendait un autre parchemin dans un geste presque violent cachant mal une colère encore à fleur de peau ?
Me voici devenue courageuse ? Depuis quand unir sa vie à celle d'un autre relève-t-il d'un quelconque courage ? Ne serait-ce pas plutôt folie, surtout dans ce cas présent ?

La lecture du document éveilla en moi un goût d'injustice flagrante. Mais cela n'était pas de mon rôle d'en parler. Je compris...comme le disait Theognis, oui, j'étais capable de comprendre.
Comprendre surtout que cet homme, derrière une apparence qu'il voulait à toute épreuve, y compris résister à de la chair fraîche, avait été blessé, sans aucun doute humilié et déçu, trahi.
Des sentiments que je connaissais même si déclinés dans d'autres circonstances, sentiments qui ferment le coeur et barricades toutes les entrées en signalant tout danger de tentative d'invasion.

Que répondre à cette demande, face à ce regard-là qui se livre et s'ouvre avec précaution.

C'est quoi, cette bouffée de douceur qui s'empare de moi ?
Ho ! La Volvent ! Reste lucide, crénom !
Secondes qui s'égrènent, silence troublé par le seul face à face de deux êtres.
Jusqu'à ce que...

Le printemps est une saison merveilleuse, sans doute la plus belle.
Ca c'est dit. La suite...
Je suis certaine que Beatrice ne verra aucun inconvénient à une entrevue. Elle reçoit peu mais lorsqu'elle connaîtra la raison, elle acceptera.
Ca, c'est répondu aussi. C'était assez facile, sans risque.
Je prierai pour que le Ciel vous protège lors de votre campagne en Provence. J'ai confiance en Lui.
Ca, c'est déjà plus délicat. Marre des deuils, moi. Il reviendra ou j'irais le rechercher, foi de moi !

Qu'attendez-vous d'Arquian? Que désirez-vous lui donner?
Quelle étrange façon de parler de lui, est-ce la crainte de se mettre en danger face à des réponses trop...délicates et personnelles ?

Ma voix dut trembler quelques fois, j'étais émue de cette soudaine incursion dans la vie du Baron.
J'osai commencer mon laïus en le nommant, cette fois, par son nom.

Theognis, je n'ai aucune expérience d'aucune sorte concernant un couple ou un mariage. Je suis peinée que votre précédente union se soit soldée par cet échec, sincèrement. La déception fait des ravages, je le conçois très bien.
Mais dire ce que j'attends de vous...cela me paraît tellement...difficile...
En fait non, je sais. Je sais ce que j'attendrais d'un époux. Oui, je le sais...la franchise et le respect confiant. Pas de mensonges foireux mais une sincère vérité entre lui et moi. Pas de vilénies sournoises mais une union respectueuse de l'un et l'autre...Rien ne peut se construire sur la méfiance et les mensonges.
Quant à ce que j'aurais à coeur de vous donner...

Le silence refit son apparition tandis que je laissais mon regard se perdre dans le sien, remarquant cette fois, combien il était beau.

La réponse que tout le monde attend serait : vous rendre heureux.
Mais, le pourrais-je ? Comment savoir avant d'avoir essayé...il y a tellement de choses que nous ne maîtrisons pas et je vous connais à peine...Par contre, je sais ce que je veux être en tant qu'épouse. Je serais là si mon époux à besoin de moi, en toutes choses du quotidien comme de l'exceptionnel. Je tiendrais mon rang qui sera celui qu'il m'aura donné, je ne lui ferais jamais honte de ma propre volonté. Je ne le trahirais pas, en aucune façon. Sa vie restera sienne pour tout ce qui ne concernera pas notre mariage, je ne le ferais pas suivre jusqu'au point du jour et je ne l'accablerais pas de reproches à la moindre absence ou incartade...Je ne souhaite pas enfermer celui qui sera mon époux, je souhaiterais au contraire qu'il soit heureux de son mariage et qu'il y trouve réconfort, tendresse et force pour affronter la vie et avancer encore et malgré tout.

Je souris, doucement, sans baisser le regard encore.

Je dois vous sembler bien vaniteuse avec mes idées, je comprendrais que vous doutiez...mais je pense ce que je dis. La franchise, disais-je...toujours être franc.

Je fis un pas vers le bureau et y déposai l'extrait du jugement, je frôlai alors le Baron et arrivée à sa hauteur, je glissai presque en murmure, ma joue touchant presque la sienne : Si ce mariage se fait, je ferais en sorte de ne pas vous décevoir, moi non plus...Puis, je me reculai un peu et repris d'une voix posée : Vous n'êtes obligé à rien.

Un bras se tend, s'offre.
Pas un mot ne fait écho à mes propos.
Jusque là, je n'avais pas l'impression qu'il se jouait de moi mais là, c'est fait.
Je ne suis là que pour conclure un achat de titres sur des terres, pas pour devenir la marionnette d'un homme tellement peu sûr de lui qu'il n'ose même pas me renvoyer à mes pénates.
J'estime que cela a assez duré.

Je posai un regard sur le bras tendu, regard qui suivit la ligne de ce corps contre lequel, il y a quelques instants encore, je me serais bien volontiers blottie, regard atteignant le visage que j'ai effleuré volontairement, tendant la perche qu'il n'a pas saisie.
Je voulais ma voix ferme, le fut-elle ?

Baron, sans vouloir vous offenser, il me semble qu'il serait temps de nous accorder définitivement sur les conditions réelles de l'octroi de Beaumont.
Je désignai le parchemin concernant Beaumont, les 1500 écus et le reste.
Je souhaiterais que vous scelliez ce document, que cela soit fait.
Vous ne m'avez pas toujours pas dit non plus qui recevrait cet argent ni quand. Ce sont des choses pratiques qu'il me faut connaître.
Et enfin...
Et enfin quoi ? Qu'espérais-je ? Qu'il prononce les mots fatidiques ? Qu'il me laisse partir, libre d'organiser ma vie, ma survie, comme je l'étais avant d'arriver ici ?
Pour moi, c'était si simple de prendre cette décision. Je m'étais fermée à tout sentiment, m'interdisant d'aimer encore. L'amour fait bien trop de dégâts, ravage trop de choses, fait trop mal. Aussi, n'importe quel mariage aurait le même goût. Theognis ou un autre, quelle importance ? Personne ne m'avait jamais appris la tendresse, on ne m'avait jamais dit qu'on pouvait aimer à en crever de douleur lorsque celui que l'on aime en préfère une autre.
Si l'on m'avait appris cela, aujourd'hui, je ne serais pas devant cet homme, aussi décidée, aussi certaine...
...Enfin, je souhaiterais une réponse claire au dernier point, celui-là qui vous tourmente autant.
Tourmenté...voilà exactement comment Theognis m'apparaissait...tourmenté.
Sur le moment, cela me fit un drôle d'effet. Le tourmenteur n'était-il pas le bourreau, celui qui semble prendre plaisir à donner la souffrance ? Si Theognis me semblait tourmenté, qui donc était le bourreau ? Moi ?
Je levai un sourcil, sur ma propre réflexion.
Diantre...que je me posais de questions. Ne pouvais-je être idiote, une seule fois, dans ma vie ?
Comprenez, Baron, ce n'est pas le genre de situation que je vis tous les jours et...cette façon de tourner autour du pot ne me met pas à l'aise.
Aussi...j'ai besoin de savoir.
Crache le morceau, beau Baron...Ose te décider, ose me renvoyer ou m'enchaîner à ton destin mais...prononce ces mots...de grâce.
S'il vous plait.

Elle a besoin de savoir tout de suite, mais n'en saura rien sur le moment. Si le Baron déteste une chose, ce n'est pas de prendre une décision sans réfléchir, mais d'être pressé de la prendre. Surtout qu'il ne s'agit pas de choisir entre des choux ou des carottes! Il s'agit d'un mariage! Alors, avec toutes les formules de politesse et d'excuse dont il dispose, et elles sont nombreuses vu son passé de diplomate (bien que son idéal fut toujours la guerre), il la congédie en ses terres de Beaumont....

Quelques jours plus tard, à Beaumont parviennent les documents suivants où sont apposés des sceaux tout neufs:

Citation :

Moi, Theognis Montereau, Baron d'Arquian et de Seignelay, pour la prospérité du duché de Bourgogne, sous les auspices du Très-Haut, déclare:

Pour la Seigneurie de Beaumont, fief attaché à la Baronnie de Seignelay, Godefroy-Ganju de Volvent en sera le seigneur et maître, devenant mon vassal par ma seule volonté.

S'il respecte ses devoirs et n'outrepasse pas les droits que je lui confie, en son nom la famille de Volvent aura toute liberté pour cultiver et exploiter les terres de Beaumont, ses vignobles, ses bois et ses pâturages.

En gage de ma volonté, une somme de 1500 écus sera versée à la signature du présent document. 6 tonneaux de vin seront fournis par la famille de Volvent pour contribuer aux festivités de la cérémonie d'allégeance.
D'autre part, une rente perpétuelle sous la forme d'un tonneau de vin sera versée chaque mois, nécessaire impôt sur les récoltes du vignoble de Beaumont.

Fait en ce mois de Janvier 1458,

Citation :

Ma chère Della,

J'ai bien réfléchi à votre proposition, et je la fais mienne. Au mois du printemps, vous deviendrez mon épouse et la Baronne d'Arquian et de Seignelay. J'ai écrit à votre suzeraine pour lui faire part de mes volontés.

Je dépose en bas de cette missive un tendre baiser,