Stress ou pas stress, zatte iz ze couesstion.

Perdue dans la contemplation des verres vides face à elle, Tigrounette ne remarque pas de suite l'arrivée de l'homme. Frelon, appréciant le nouveau venu, cesse de jouer avec son verre et entreprend de venir sentir la manche de l'homme. Venin, quant à lui, lève la tete du pied de sa maitresse, et lance un gémissement en direction de l'arrivant. Tigrounette ne semble pas remarquer le ménage. C'est à la voix du Vétéran qu'elle relève la tete, et tente, tant bien que mal, de refouler ses larmes, et de lui offrir son plus joli sourire. Son père lui disait toujours que les hommes ne doivent jamais soupçonner leur chef de ne pas aller bien. Allons bon, encore lui. Pour y penser, elle doit vraiment etre malade.

Tiens, bonjour ! Cela me fait plaisir de vous voir. Comment allez vous ? Je vous sers ?

Sans trop attendre la réponse, la jeune femme pose un verre devant le Vétéran, qu'elle remplit bientot.

La dernière fois que je vous ai vu, vous refusiez catégoriquement de monter à cheval ... Comment cela s'est il passé ? Si vous avez des soucis avec les chevaux, j'en aurais bien un qui vous plairait !

Elle a beau essayer de détourner la conversation, elle sent bien que le vieil homme face à elle ne s'y trompe pas. Sous son regard inquisiteur, elle se sent alors toute petite, si petite ...
Sa main se sert autour de son verre, ses doigts se crispent à en faire blanchir les jointures. Ses yeux embués de larmes se lèvent alors vers le Vétéran, et d'une voix qu'elle se veut posée, elle lui pose la question.

Dites moi ... Quelles sont, pour vous, les limites à la dévotion ? Jusqu'à quel point pouvez vous respecter un serment d'allégeance ?

[HRP: Pardon pour le retard.../HRP]

Il accepte le verre mais ne le touche pas, préférant enrober de sa patte velue la tête de Frelon aux oreilles pointues.
Il ne répond pas à sa question sur les chevaux, d'une part il n'aime toujours pas ces bestiaux, malgré l'insistance de la Connétable, d'autre part il connait le cheval de Tigroue, un redoutable mustang, aussi imprévisible....qu'une femme justement.
Le Vétéran considère la jeune femme de ses petits yeux noirs, curieux. Sa dernière question ne manque pas de le désarçonner: il y réfléchit, longtemps. Sans s'en apercevoir, ses lèvres goutent la liqueur de fruit alcoolisée, de minuscules gorgées qui réchauffent ses mots.

Hé bien....Pour moi, dévotion et allégeance s'accordent mal. Pis, l'une fait perdre son sens à l'autre.
Je m'explique....L'allégeance est un échange entre deux personnes, l'une promettant à l'autre de le servir, de le défendre, de le conseiller, et l'autre jurant de protéger et d'aider son servant.
Il y a donc une réciprocité qui se met en place.
Contrairement à la dévotion, où ne règne plus cet équilibre fondateur de l'allégeance. Dans un processus de fusion totale à son maître, le servant ne distingue plus le bien du mal, le moral de l'amoral, le respect de l'adulation. Ainsi, ses conseils deviennent inopérants, car le dévot n'a pas la lucidité nécessaire pour juger de la situation de son maître.
En outre, son désir ultime étant de donner sa vie pour son maître, il ne garde pas la prudence de l'homme avisé et se jette dans les situations les plus périlleuses. Faisant cela, il croit honorer le prestige de son maître par des actions courageuses, mais ce n'est qu'inconscience et folie.
Le maître qui est soutenu par des dévots plutôt que par des hommes-liges court un grave danger. Il ne s'aperçoit pas du caractère aveugle de la dévotion. Il s'exalte et se voit tout-puissant. Il écoute des flatteries, quand il devrait prendre des conseils. Et le moindre de ses désirs est exaucé, de sorte qu'il n'éprouve bientôt que de l'arrogance face aux services péniblement rendus, comme si ces derniers "allaient de soi".

Il s'installa plus confortablement sur le siège avant de poursuivre:

Je vais te dire, Cléa, j'ai assuré pour une bonne part l'éducation de ce Baron. Je lui ai notamment appris l'histoire suivante:

Il y avait, du temps de la Grèce ancienne, un homme puissant et respecté, qui se faisait appeler Démétrios Poliorcète, ou le preneur de villes.
Cet homme parvient, grâce à une ruse, à débarquer à la tête d'une nombreuse flotte dans la ville d'Athènes, une des capitales du monde grec. Les habitants s'inquiètent de possibles exactions, pillage, mises en esclavage, etc....Mais Démétrios leur tient un discours raisonnable et modéré. Notamment, il leur rend leur Constitution et leurs anciennes lois, en les libérant de la tutelle macédonienne.
Aussitôt, les athéniens sont pris de joie. De grandes fêtes sont célébrées en l'honneur de Démétrios. Décret après décret, les orateurs athéniens rivalisent d'imagination pour célébrer le libérateur....Comme le dit le philosophe:
"Quant à Démétrios, qui s'était montré si magnifique et si grand dans ses bienfaits, les Athéniens le rendirent insupportables et odieux par l'importance démesurée des honneurs qu'ils lui votèrent".

Par exemple, les images de Démétrios furent placées sur le même plan que celles des dieux. Pis encore, on décida que les gens envoyées en mission diplomatique auprès de lui ne seraient pas des ambassadeurs, mais des théores, ceux qui conduisent les sacrifices traditionnels à Delphes et Olympie. Et davantage, on lui octroya pour demeure une partie du temple de la déesse Athéna....

Or, quand la roue eut tourné pour lui, quand ses adversaires l'eurent battus dans une grande bataille, qu'il était désespéré et sans ressources, il se tournât vers la cité d'Athènes pour leur demander de l'aide....Cette aide lui fut refusée, purement et simplement. Et Démétrios comprit alors la différence entre l'allégeance et la dévotion.

Il sourit à Cléa, et finit son verre, sous le regard rond et noir du chat.

Tigrounette écoutait attentivement le flot de paroles déversé par le Vétéran. Elle avait entendu certaines histoires, plutot contes que légendes, mais n'y avait jamais vraiment prêté attention. Son frère lui en parlait souvent, fasciné par cs ancens qui mélangeaient souvent pouvoir et sagesse.

Mais si la jeune femme savait comment gagner une guerre avec des armes à la mains et des hommes aux cotés, elle avait bien du mal à imaginer, d'abord qu'on puisse perdre un combat, ensuite, que des gens refusent d'obéir, mais en plus qu'une ville que l'on possède ne s'ouvre pas pour un secours potentiel.

Les mots se bousculent dans sa tete, et elle se demande vaguement, alors, si les gens étaient dévoués ou juste allégés. Elle secoue la tete, laissant ses yeux vagabonder sur son chien, et Frelon qui semble apprécier la compagnie du vieil homme s'est maintenant assis tout près de son bras, à portée de caresses éventuelles.

La jeune femme secoue à nouveau la tete en regardant les yeux de son vis à vis.

C'est ridicule ! Il était sensé l'avoir cette ville, non ? Donc ils étaient obligés d'intervenir, quelle que soit la fin. Si on demandait leur avis aux villes, la réponse serait, de toute façon, toujours négative.

Ses bras se croisent sur son torse, et ses lèvres pleines affichent une moue boudeuse. Elle ne comprend pas trop ou l'homme veut en venir, et la présence de quelques verres dans son esprit ne lui facilite pas la tache. Mais elle doit faire attention, car dans des cas comme celui ci, elle est beaucoup plus bavarde d'ordinaire.

De toute façon, c'est bete comme histoire. Pourquoi il n'a pas attendu tout simplement l'arrivée de l'armée adversaire dans la ville ?
Moi, je l'aurais bien aidé. Je trouverais vraiment insultant qu'on vienne mourir aux pieds des murs de ma ville !

Un nouveau verre se vide, et, à nouveau, devant elle, se remplit. Tigrounette le porte à ses lèvres accompagné d'un haussement d'épaule et d'un signe vague de la main, indiquant le sujet comme clos.

Bon, alors dans le cas d'une allégeance. Jusqu'ou iriez vous ? Est ce que, par exemple, vous resteriez fidèle à quelqu'un qui, disons ... qui accepterait de faire passer ses intérets avant son bien etre ?

Ses yeux verts, ouverts en grand, ne se détachent pas du Vétéran.