Couleurs d'hiver

Décembre étalait ses nuits noires, ses matins sombres et ses journées grises ou pâlotes, selon les jours. Le froid s'insinuait lentement partout et les grandes cheminées d'Arquian étaient constamment rechargées en bois pour maintenir une température agréable dans les salles principales. Il était grand temps pour Isa de se mettre à l'ouvrage afin de fournir des vêtements plus chauds aux habitants d'Arquian et aux dragons. La veille au soir, juste avant de s'endormir, elle avait fait part au géant de son envie de retourner à l'atelier de tissage. Devançant comme à son habitude ses envies et ses besoins, Gorbo s'était levé bien avant l'aube et avait allumé un feu dans l'âtre de l'atelier. A l'arrivée d'Isa, quelques heures plus tard, une douce chaleur régnait dans la pièce et elle put se mettre au travail sans attendre.

Depuis quelques jours elle réfléchissait à une veste épaisse, matelassée, qui pourrait être portée sur les chemises et tiendrait la chaleur près du corps. Elle s'était entretenue avec la femme de chambre du château et avait réussi à la convaincre de lui remettre une des chemises du baron. Se basant sur ce modèle, elle avait réalisé un patron et ce matin, elle devait découper les différentes pièces de tissus.
Le choix de la matière avait été faite depuis un moment. En observant Théo, elle s'était vite rendue compte que les couleurs naturelles et vive lui convenait particulièrement. Après avoir hésité entre un lin beige et un velours épais bordeaux, son choix s'était finalement porté sur le second. Plus chaud et plus noble, la matière convenait particulièrement bien au maître du domaine.
Déroulant le tissu sur la vaste table qui occupait le centre de la pièce, Isa disposa les patrons et procéda au découpage minutieux.

Alors qu'elle s'affairait toujours, on frappa à la porte. Abandonnant son travail pour un instant, la jeune femme ouvrit la porte et sourit en découvrant les deux jeunes femmes qui attendaient, l'air un peu tendu, ce qui était compréhensible quand on était escortée par un géant chauve et silencieux ... Retenant un fou rire elle leur ouvrit la porte et déclara :

Bonjour damoiselles, et bienvenue aux ateliers de tissage d'Arquian. Je vois que l'on vous a confiées au plus costaud des dragons. Je vous en prie, entrez et débarassez vous, je suis à vous immédiatement.
Puis glissant d'un pas gracieux dans le couloir, Isa se blottit tendrement dans les bras de Gorbo, s'accordant une pause tendresse. Plongeant les yeux dans ceux de son ange elle murmura
Tu sais que tu as un air particulièrement menaçant ? Ces deux jeunes filles sont terrorisées, escortées par un géant dans les dédalles sombres de la forteresse humide...c'est la meilleure façon de les voir partir pour ne plus jamais oser revenir. Tu vas entrer une minute et je vais faire les présentations, qu'elles sachent qu'elles ne risquent pas d'être dévorées en sortant d'ici.
Ponctuant la fin de sa phrase d'un léger baiser sur les lèvres de Gorbo, alors qu'il posait comme à son habitude la main sur la bulle endormie, elle l'entraîna à sa suite dans l'atelier.

Messages : 44 Date d'inscription : 25/08/2009

Sagement, le Vétéran attendait à l'extérieur. On lui avait dit que dame Isa s'affairait à coudre des habits de qualité pour les gens d'Arquian. Lui dont la solde n'était pas fabuleuse, lui dont les vêtements étaient rapiécés jusqu'aux coudes, espérait donc beaucoup des talents d'Isabeau. Pour l'occasion, car il fallait toujours faire bonne impression aux tailleurs pour qu'ils s'occupent bien de vous, il avait taillé sa barbe et ses joues ressortaient roses et propres sous le casque.
Il enleva le casque. Stupide idée que de croire que dame Isa aimait les guerriers munis de leurs attributs. Non, sa chevelure peignée plaiderait mieux pour lui.
Car le Vétéran n'avait pas que l'argument commercial en tête. En fait, il aimait secrètement Isa. Quelle chevelure! Elle hantait ses nuits, quand il maudissait son coussin d'être de plumes. Il rêvait de passer ses journées à la coiffer, en s'autorisant parfois une plongée dans cette cascade de cheveux parfumés où les pensées s'évanouissent.
Alors, sagement assis sur un banc, les mains jointes et le dos droit, il attendait.

Messages : 4 Date d'inscription : 14/12/2009

La dame lui avait dit d'entrer et de patienter un moment, donc avec Camille, Madeleine pénétra dans l'atelier. A peine la porte refermée, la jeune fille fit rapidement le tour de la vaste pièce et ne put retenir un sifflement d'admiration. Camille, plus réservée, lui fit signe de se taire mais Madeleine s'avança vers les étoffes soigneusement rangées dans une étagère. D'une main, elle caressa les velours, s'attarda rêveuse sur la soie...
Elle avait déjà travaillé chez un tisserand durant quelques mois, elle y avait fait ses premiers apprentissages mais l'homme s'était montré violent et Madeleine avait quitté l'atelier en pleine journée. Elle avait erré dans le village et s'était retrouvée assise sur un des bancs du parc. Peu de temps après, Isa s'était assise sur le même banc et elles avaient devisé ensemble. Durant cette conversation, Isa avait proposé à Madeleine de travailler à Arquian. Madeleine avait rapidement accepté le poste et avait été jusqu'à parler de sa soeur, Camille, 12 ans, pour laquelle la laine n'avait plus aucun secret.

Aujourd'hui devait être leur premier jour de travail à toutes deux. Elles s'étaient levées de bonne heure et leur père avait puisé l'eau afin qu'elles puissent se laver et s'habiller de frais avant de partir. Dans leurs besaces, la mère avait déposé deux miches de pain et une pomme, pour tenir la journée. Puis elles s'étaient mises en route, à pieds et avaient parcouru rapidement les deux lieues qui séparaient leur maison du chateau.
A l'entrée, elles avaient du expliquer la raison de leur présence au vougier, qui avait ensuite appelé un géant chauve, qui lui même les avaient guidée vers les ateliers. Plus d'une fois, Camille avait failli rebrousser chemin tant les lieux et les gens d'ici lui faisaient peur.
Mais au milieu de toutes ces jolies matières, elle se sentait à présent rassurée. Camille s'assit sur un des tabourets le long de la grande table et sa soeur a rejoignit, alors que Dame Isa entrait dans la pièce, suivie de l'homme que craignait tant les deux soeurs. Instinctivement, la petite se rapprocha de sa grande soeur. Toutes deux avaient les yeux rivés sur le géant, en attente de la suite des événements.

[Quelques jours plus tôt, au village d'Arquian]

Ayant remarqué que les réserves de bois du château s'amenuisaient petit à petit, Orion, qu'un peu d'intendance ne rebute pas forcément, avait pris sur lui de descendre au bourg un soir pour se rendre à l'Auberge des Trois Dames y recruter quelques personnes pour la corvée...

Voulant faire les choses un minimum comme elle se devaient d'être, par respect envers le suzerain de ces terres, Gorborenne portait sur sa livrée cuir, cousue le matin même un peu à la va-vite, un petit écusson de tissus gravé du symbole des Dragons.... La réaction fut celle qu'il attendait.... Respect dans les salut, parfois volontaire, parfois forcé, ici un brin de crainte, là un air de défi..... Bref, échange classique de regard par dessus le fossé des classes...... Le Chauve n'en avait cure des exigences des classes, mais savait s'y plier quand il le fallait....

Bref salut à l'aubergiste, et il alla s'assoir sans attendre à une table inoccupée, se commanda une pinte du cru local, puis quand l'aubergiste vint la lui servir, requit, pourboire à l'appui, qu'il lui mande trois personne pour parler au nom des villageois et qu'il les invitait à sa table....

..... Deux minutes...... Et trois paires d'yeux luisant au creux de trois visages le fixe d'un air curieux, ou plutôt suspicieux il faudrait dire, mais assez ravi de déjà se voir offrir à boire avant même que la discussion n'ait commencé.......

Un grand, l'air pas méchant, le Bon....
Un petit à large carrure, le nez déformé, sans doute par un usage immodéré des plaisirs de la rixe, la Brute.......
Et le troisième, le regard torve et le sourire carnassier....... le Truand

Quelques gorgées et le Chauve s'adressa à eux de but en blanc, exposant sa proposition:

- Avec la rudesse de l'hiver qui approche, pour que nul n'ait à craindre du froid, il est crucial que chacun ait de quoi se chauffer en suffisance..... C'est ce qui m'amène ici.....
Bon, d'abord, je vais vous rappeler quelques point peu agréables à entendre, surtout quand les première neiges menacent de tomber:

Il éleva un peu la voix, pour que tout le monde puisse l'entendre, et pas seulement ses trois interlocuteurs....

- D'abord, les forêts d'Arquian sont propriétés du Baron, et le braconnage, comme la coupe de bois non autorisées seront sévèrement punies.

- Ensuite, tout habitant du domaine d'Arquian est corvéable, et à ce titre, peut être appelé à travailler pour le profit du Baron........

Le Chauve baisse légèrement le ton, mais sa voix grave porte toujours, il ne doute pas que le Bon, la Brute et le Truand assis face à lui ne sont pas les seuls à écouter attentivement ses paroles, voir quelle tuile va encore leur tomber sur la tête.......

- Je viens ici au nom du Seigneur d'Arquian requérir la corvée et recruter parmi les villageois pour aller couper du bois de chauffage en forêt.

- Il faudra pour trois jours de travail, une vingtaine de solides gaillards pour manier les haches, une demi douzaine pour faire aller les scies, ainsi qu'une demi douzaine pour conduire les attelages. Si parmi vos enfants, certains sont assez capable pour diriger un cheval par le licol, ils seront bienvenus également..... À vous de vous arranger selon les exigences de vos labeurs respectifs pour voir qui vous enverrez, mais après demain, à l 'aube, je viendrai chercher la troupe et je la veux prête à partir sitôt mon arrivée.....

Il se tait un moment, laisse passer grêle de ressentiment et l'opprobre des regards haineux qui se tournent vers lui...... Les yeux du Géant parcourt l'assemblée, un sourire se dessine peu à peu sur ses lèvres...... Sourire légèrement prédateur, mettant quiconque au défi de contester l'autorité seigneuriale, mais qui se faisait peu à peu généreux, car il n'était pas dit non plus que le Baron d'Arquian était homme cruel et à abuser de ses gens.....

- Selon les Lois et Coutumes en vigueur, le seigneur Theognis Montereau n'a aucune obligation de rétribution lorsqu'il mande corvée..... Mais il ne laissera pas ses gens mourir de froid ou de faim pour autant.

- Ainsi, pour pallier au fait qu'enlever autant de personne au travaux du village pendant trois jours ne vienne à trop amputer vos préparatifs à l'hiver, sur chaque stère de bois que nous couperont, une partie en sera reversée de façon équitable entre les différentes familles du village...... même celles qui n'auront délégué personne à la corvée, ce n'est pas parce qu'ils ne couperont pas de bois qu'ils se seront tournés les pouces pour autant.....
Par cela, notre volonté est que chacun puisse se chauffer quand viendra le froid, et aussi que personne ne soit retrouvé à bûcheronner sans autorisation..... notre position à ce sujet ne risque pas de changer......

- Cela dit, à chaque personne qui viendra à la corvée sera également fourni une miche de pain et un morceau de viande d'un quart de livre par jour de labeur. Le château fournira également les haches et les scies nécessaires, mais nous attendons que ceux qui en possèdent les emportent ou les prêtent également..... Tous les outils utilisés à là coupe passeront sans frais à l'entretient au forges du château une fois l'ouvrage terminé. Concernant les attelages, une demi douzaine suffiront, mais le château n'a pas assez de charrettes à libérer, mais je pense que vous devriez pouvoir vous en passer de trois ou quatre pendant trois jours....... Pour les chevaux de traits, ne vous en faites pas, il y a ce qu'il faut aux écuries du château....

Il termina son verre d'un trait, recommanda une tournée pour le trio assis face à lui, et s'adressa plus particulièrement à eux alors qu'il se levait déjà pour partir.....

- Comprenez bien deux choses, cette générosité est signe que le Baron prend soin de ses gens, mais la tâche que je vous demande en son nom n'est pas négociable pour autant..... Ainsi, si après demain à l'aube, je ne vois personne de réuni, c'est sur vous trois qu'en retombera la responsabilité...... Sur ce, une bonne soirée, et à dans deux jours.....

Il se leva, quitta les Trois Dames en saluant l'assemblée, sachant très bien que le débat allait s'enflammer avant même que la porte ne se referme derrière lui, mais il ne doutait pas pour autant qu'il trouverait une trentaine de personnes prêtes à partir le surlendemain.......

[Dans la cour du castel, puis les couloirs et l'atelier]

Le Chauve revenait déjà de la forêt avec quelques villageois, trainant la première cargaison du bois coupé la veille jusque dans l'enceinte du château..... Un fois que tout serait ramené, le partage serait fait et les charrettes redescendraient au village avec la part promise.....

Un sourire satisfait arborait sur ses lèvres, la coupe allait bon train et le bois de chauffe ne viendrait pas à manquer dans les semaines à venir...... Mais quand l'insupportablement désagréable voix du Vougier le héla, son sourire s'effaça aussitôt et un frisson lui parcourut l'échine..... Dieux qu'il détestait cette voix. Le Chauve beugla en retour, voulant savoir ce qu'il voulait, mais remarqua directement les deux jeunes filles qui déjà passaient les larges ventaux de la poterne.....

D'un pas rapide, il s'approcha d'elles sans attendre, sourit largement au motif de leur présence, et les invita à les suivre d'un geste. Il dédaigna l'entrée principale pour passer directement par les services.... Pour deux raisons, la première, c'est que le chemin vers les ateliers de tissages est plus court par là, même si le trajet est un peu plus lugubre, la deuxième, c'est que prêt de la porte principale, il y a une bonne douzaine de mâles entrain de décharger du bois, échauffés par l'effort et pas encore assez fatigué pour oublier quelques idées frivoles au passage de deux jolies demoiselles, et le Chauve n'aimant pas les remarques désobligeantes, il préféra éviter la chose en contournant l'obstacle.........

Poussant de sa seule présence les deux jeunes filles dans les couloirs, ponctuant son silence par un "à gauche" ou "à droite", il arriva rapidement devant la porte des atelier de tissage qu'il était venu préparer au matin pour sa Douce avant d'aller mener les gens du village à la corvée.....

- c'est là, on y est.

Puis large sourire devant la petite étincelle qui vient ouvrir la porte..... Il se souvint du visage serein qu'elle arborait, endormi dans leur couche, le matin quand il s'était levé de bonne heure.....

L'enlaçant et la suivant dans l'atelier, il observe un moment le manège des deux assistante dont sa Douce se trouvait affublée, riant doucement quand elle le dit menaçant.....

- Mais non, je suis un crème moi...... Je suis pas un ogre à dévorer de croquantes jeunes filles......

Les présentations terminées, Isa se tourna vers les deux jeunes filles qui semblaient avoir déjà exploré un peu l'espace qui deviendrait leur lieu de travail si leur talent était à la mesure de leurs paroles.

Mesdemoiselles, nous avons du travail. Quelques commandes me sont parvenues et les délais sont courts. Il va vous falloir me prouver rapidement que j'ai bien fait d'accorder foi à vos paroles, Madeleine.

Puis se tournant vers le géant elle posa un doigt sur son torse et les yeux pétillants, elle lui déclara

Pour toi aussi, j'ai une tâche particulière. Sad m'a commandé une capeline bordée de fourrure blanche... Je te charge de trouver cette fourrure rapidement. Allez zou ! Pas le temps de flemmarder ici,ces damoiselles sont occupées désormais et c'est moi qui vais mordre si tu ne ....

Isa ne put terminer sa phrase, Gorbo l'embrassa avec sa tendresse habituelle puis , mimant un salut pour le moins militaire ponctué d'un "à vos ordres", il fila ... Souriante et encore rêveuse - l'homme avait ce don de réjouir le coeur d'Isa rien que par sa présence et la chaleur de ses bras - la jeune femme s'apprêtait à refermer la porte de l'atelier quand elle aperçut le vétéran, assis droit comme un "I" sur un banc. Il semblait attendre son tour et Isa remarqua qu'il avait particulièrement soigné sa tenue et retiré le casque qui semblait vissé à perpétuité sur son crâne. S'approchant de lui, elle lui demanda :

Puis-je faire quelque chose pour vous ?

Messages : 44 Date d'inscription : 25/08/2009

Il se leva. Il fit tomber le casque. En balbutiant quelques excuses, il se baissa pour le ramasser. En se redressant, des mèches rebelles s'accrochèrent au ciel. Mais le Vétéran ne s'en aperçut pas. Elle était là. Chacun de ses mots avait la beauté d'une cathédrale. Cela semblait bête, mais le Vétéran n'avait jamais rien contemplé d'aussi beau qu'une cathédrale. Et Isa, bien entendu. N'avait-il pas des rêves la concernant d'une Immaculée Conception?
Décidément, le vieux perdait la boule. Mais jamais, il ne mettrait une croix sur son amour.

Quelque chose pour moi! C'est vrai? Il ne fallait pas! Comme vous êtes gentille et adorable!

S'ensuivit un silence gêné, juste délai pour que les pensées du Vétéran se remettent à l'endroit.

Quelque chose....Quelque chose pour moi? Oh, hé bien, je....Oui, j'ai besoin de nouveaux vêtements. L'hiver arrive, et mes vieux os....Enfin je veux dire que je donne chaque année des habits aux pauvres vieux du village! Aussi, j'ai besoin de changer ma garde-robe, comprenez-vous....Et j'ai entendu que vos mains de fées cousaient de belles étoffes pour pas cher....Enfin, je paierai tout, et le double du prix, s'il le faut! Je ne suis pas en manque, de ce côté-là....

Chaque palabre lui semble stupide, chaque phrase grossière, et elles sont effectivement stupides et grossières tant il met d'application à s'étouffer avec. Encore n'a-t-il pas remarqué que son casque couvre exactement d'une métallique protection l'entrejambe de ses braies fatiguées.

Souriante comme à son habitude, Isa écouta avec attention la demande du vétéran. Elle ne put empêcher son sourire de s'accentuer lorsqu'il se releva et qu'une partie de ses cheveux semblèrent vouloir prendre la direction du ciel. Nulle moquerie cependant, juste de l'amusement et un brin de compassion pour cet homme qui semblait perdre tous ses moyens en présence d'une jeune femme, même enceinte jusqu'aux dents. Son discours particulièrement décousu était presque incompréhensible et finalement, accompagné de ses mimiques, la scène tenait presque d'un numéro de saltimbanque. Pinçant, les lèvres, de plus en plus amusée, la jeune femme attendit que l'homme exprime la raison de sa venue puis lui répondit.

J'admire votre générosité. Et il est vrai que je suis ici pour confectionner des vêtements pour les dragons et je suppose également le personnel du baron... Ceci dit, il va vous falloir patienter un peu, je viens à peine d'accueillir deux jeunes damoiselles du village qui devraient d'ici peu être en mesure de me seconder dans mes tâches, et dieu sait si elles sont nombreuses.

Croisant les bras sur son ventre de plus en plus imposant, elle examina attentivement le vétéran. Un doigt posé sur ses lèvres,elle évalua rapidement la stature de celui-ci, puis plissant un oeil, elle ajouta :

Néanmoins, il me semble que je dois déjà avoir en réserve ... moui... une jolie chemise en lin très épaisse ... et qui en plus mettra en valeur vos superbes cheveux gris ... puisqu'elle est de couleur vert olive. Et pour vous tenir chaud...

Tout en parlant, Isa retourna dans l'atelier et se dirigea vers la grande armoire, juste à côté de la fenêtre. Elle ouvrit vivement les deux battants et d'une main habile, fit défiler rapidement les quelques vêtements qui s'y trouvaient, jusqu'à tomber sur la fameuse chemise, qu'elle sortit immédiatement pour la montrer au vétéran. Posant le vêtement sur la grande table, elle poursuivit sa fouille et trouva un gilet en laine d'agneau. Ravie, elle se tourna vers la porte et s'écria à l'attention du vétéran :

Entrez !! Venez donc ! Tenez, filez vous cacher derrière la tenture là-bas et passez moi cette chemise ...

Tout en parlant, elle poussait déjà le vieil homme vers le petit espace d'essayage et attrapant la chemise au passage, elle la suspendit au crochet fixé dans le mur à cet effet avant de refermer la tenture d'un geste rapide sur le vétéran.

Sans perdre une minute, elle se dirigea auprès des deux jeunes filles et leur fit part de ses projets, leur dévoilant ses esquisses, virevoltant de celles-ci aux étoffes et expliquant en détail ce qu'elle attendait de chacune des jeunes filles.

Messages : 44 Date d'inscription : 25/08/2009

Une chemise verte, un gilet en laine. Le Vétéran ressemblait au bon berger du plateau de Romansolles* quand il s'extirpa de la cabine trop petite pour son corps trapu. Mais pour faire plaisir à la jeune couturière, il s'essaya d'un béret joliment piqué d'une plume rouge, un peu court sur sa grosse tête.
Ainsi vêtu, il fit face à la grande glace et tout d'abord ne se reconnut pas. Il esquissa même un mouvement en arrière, devant cette apparition inattendue. Passée la stupéfaction, ses yeux se plissèrent et tout ce visage prit une mine concentrée.
Ce long examen ne mit pas un terme à ses doutes. Incapable de trancher par lui-même, il se tourna vers Isa, occupée à discuter chiffons, probablement. D'une démarche faussement bravache, il s'avança vers elle, sourit, plutôt son visage fondit sur ses lèvres à sa vue, et....Vite, se recomposer le visage, se donner du maintien, mais montrer du doigt le miroir, en disant:

Est-ce que c'est moi qu'on voit dans la glace là-bas?

Avec l'expression sérieuse d'un Pape.

*Romansolles, si tu existes, salut!^^

La feutrine rouge ... c'est la feutrine rouge qu'elle cherchait à présent. Elle avait pris les mesures de Sad et voulait couper elle même les pièces de tissus afin de s'assurer que tout soit fait correctement. Mais où était donc passé ce foutu coupon ...? Il faudrait songer à refaire le tri des étoffes dans cet atelier. Isa avait déjà remarqué l'une ou l'autre matière intéressante, l'une ou l'autre couleur qui conviendrait parfaitement à tel dragon ou tel autre. Mais le nombre de coupons et de rouleaux de tissus était tellement important qu'il faudrait étiqueter chaque pièce et tenir un cahier d'inventaire. Chaque esquisse, chaque idée serait également répertoriée et une annotation reprendrait les références des tissus nécessaires à la réalisation. Il fallait vider le stock.... Un sourire éclaira un instant le visage d'Isa lorsqu'elle pensa à son projet. Un jour, ils iraient là-bas. Gorbo savait qu'elle tenait à ce voyage et ... un jour ... ils partiraient.

En cherchant la feutrine ... pourtant rouge mais invisible ! La jeune couturière posa la main sur un coupon de tissu très fin et très doux. Etonnée, elle le sortit avec précaution de sa cachette, le posa sur la vaste table et le déroula. Palpant la matière, ses yeux s'arrondirent de surprise. Il s'agissait bien de cendal, et d'une qualité supérieure en plus. Isa n'en n'avait vu qu'une seule fois dans sa vie, lorsqu'elle avait passé quelques semaines chez la duchesse de bourgogne. Sa Grâce, en voyant l'intérêt de la jeune femme pour les belles étoffes, lui avait proposé de sortir sa robe de l'armoire et lui avait expliqué en détails la provenance de cette étoffe.

Elle était encore en admiration devant le superbe tissu lorsque le vétéran s'approcha d'elle, désignant le grand miroir d'un air dubitatif.
En levant les yeux, elle aperçut un homme ... pour le moins transformé. Tant au niveau vestimentaire qu'à celui du faciès. Isa ne put s'empêcher de sourire à nouveau en le voyant si sérieux. Elle n'arrivait pas à déterminer s'il était satisfait ou non de ce qu'il avait vu dans le fameux miroir. Les mains sur ses reins - Dieu que ce ventre devenait lourd par moment - et regarda ladite glace puis l'homme et répondit :

Mmmh ... il me semble que c'est bien vous, oui. Mais vous avez plus l'allure d'un berger que d'un vétéran. J'étais sûre que ce vert vous rajeunirait. En plus le ton s'accorde parfaitement à vos yeux ... Qu'en pensez vous ? Comment vous sentez vous dans ces vêtements ?

Messages : 44 Date d'inscription : 25/08/2009

Un berger? Quelle horreur! Le Vétéran n'ose rien dire à la jeune protégée qu'il couve du regard, mais l'expression de son visage est plus éloquente que des mots. Mais, d'un autre côté, Isa semble satisfaite de ce qu'elle voit, et la douceur de ses yeux est un puissant argument pour le convaincre. Lui qui n'a jamais acheté d'habits autres que pour se couvrir du froid ou se défendre des armes, les notions d'élégance et de mode lui sont totalement étrangères. Il achèterait au même prix le cendal et la laine.
Peu à l'aise devant le miroir, il ne cesse de jeter des coups d'œil inquiets à la jeune tisserande. Puis il aime tellement ce beau visage et cette splendide chevelure....Mais ses pensées s'égarent. Comment se concentrer sur lui-même, quand de toute sa vie il n'a jamais pris la moindre attention pour sa propre beauté. Certes, un minimum, pour sa dernière compagne....Le souvenir de cet amour perdu lui cause aussitôt une grande souffrance. Elle est la cause de sa fuite, de son anonymat, de sa détresse solitaire. Il ne préfère plus y penser. Isa se tient toujours à ses côtés, et s'il hésite encore, elle va croire que cet homme ne sait pas prendre de décisions.
Or le Vétéran est un homme aussi résolu dans ses choix que dans ses fuites.

Je me sens confortable et chaud, belle tisserande. Mon ancienne....Enfin je veux dire les femmes que je fréquente au village seront heureuses de me voir pareillement accoutré....N'est-ce pas? Est-ce que vous sortiriez avec moi si j'étais habillé ainsi? Non, pas que je nourrisse quelques sentiments avec vous....Quoi? Non, je m'embrouille, pardonnez-moi, je veux juste....Bref, je prends, j'achète!

Quelle manie de mélanger pensées et paroles en même temps! Le Vétéran s'agace et frappe du pied au sol.

Je voudrai simplement m'habiller, et comme je ne sais pas le faire, je m'en confie à vous. Faites de moi...Non habillez moi comme il vous plaira!

Tout en écoutant les paroles du Vétéran, Isa réajuste quelque peu le col de sa chemise. Puis elle s'arrête face à lui et après un rapide coup d'oeil, lui répond :

Vous êtes parfaitement bien accoutré pour que les femmes du village vous trouvent ... changé et à votre avantage. Et si tel est votre souhait, et bien j'espère de tout coeur que l'une d'entre elles, en vous voyant vêtu de neuf vous trouvera à son goût et ...acceptera votre demande de sortie.

Ponctuant sa phrase d'un sourire, Isa espère ne pas avoir été trop abrupte dans ses propos. Elle ne tient pas à vexer l'homme mais ses propos décousus l'ont mise mal à l'aise. Il lui faut réétablir la distance de sécurité nécessaire et surtout, elle ne veut laisser planer aucun doute quant à d'éventuels sentiments venant du vétéran. Mais l'homme est nerveux, sans doute confus lui-même de certains de ses propos. Alors elle s'adoucit et tout en reprenant la direction de la grande table de travail elle ajoute :

Pour ce qui est de l'achat et du paiement de vos vêtements, il me faut d'abord aller voir le Baron. Pour l'instant je note ce que vous emportez. Et je serai à votre disposition avec grand plaisir, chaque fois que vous souhaiterez des conseils pour vous vêtir ou de nouveaux vêtements.

Arrivée devant la table, Isa laissa filer ses doigts sur la feutrine rouge que Camille a trouvée entretemps, puis relevant les yeux vers le vétéran et souriant à nouveau pour qu'il comprenne qu'elle ne lui en veut pas,elle ajoute :

Je vous trouve très à mon goût dans cette tenue... Et j'ai d'autres idées pour vous. Nous allons partir, Gorbo et moi, durant quelques semaines ... mais nous devrions être de retour pour la Saint Noël ... alors si vous avez besoin de vêtements, revenez me voir à notre retour.

Messages : 44 Date d'inscription : 25/08/2009

Et le Vétéran de s'en aller, fier comme Artaban, beau comme un berger, content de ses trouvailles. Isa doit croire qu'il est homme à femmes, maintenant! Qu'il fréquente la villageoise, avec une grande habileté dans le troussage de jupons! Que les maris le considère comme un renard, prêt à toutes les ruses!
"Les femmes que je fréquente au village..."
Étrangement, cette phrase ne lui sort pas de la tête. Il passe sur toutes les bafouilles et autres confusions, pour retenir simplement ces mots. Plus il les prononce dans sa tête, et plus ils paraissent redoutables. Isa aura davantage de respect pour un homme du monde, plutôt que pour un vieux rabougri dans sa caverne.

Aussi, chose inhabituelle, il décide de flâner sur la rue principale du village. De se montrer un peu, les mains dans le dos, le regard curieux. D'habitude, il déteste les pécores et ces affreux bouseux, ces pleurnicheurs qui critiquent leur seigneur sans savoir se défendre. Ah, il en a ravagé, des fermes de ces cons-là!
Mais aujourd'hui, il est beau, aimable, poli. Isa rayonne dans son coeur. Elle le rend béat d'admiration. Et ses habits, quel splendeur! Il se pavane.

Bonjour madame

_Mais? Qui êtes-vous?

_Hé bien, le maître d'armes du château d'Arquian, madame....

_Oh....La bonne journée à vous, monseigneur....Les enfants, rentrez vite! Toi, l'ainé, va chercher ton père!

_Mais....

_Monseigneur, toutes mes excuses, mon mari arrivera bientôt pour vous parler.

Le Vétéran s'en retourne, épaules basses et mains dans le dos. Maudits soient ces paysans! Qu'ils n'aillent pas raconter à Isa les fausses rumeurs qui courent sur son compte. Bon, il a brûlé quelques villages dans sa jeunesse, pendant vingt ans. Mais aujourd'hui, c'est du passé, non?