Naissance d'un verger

Messages : 21 Date d'inscription : 11/08/2009

Assise jambes croisées un verre de lait chaud à la fleur d'oranger à la main, elle s'imprégnait des lieux en friche derrière le château, pourtant l'espace semblait avoir été autrefois un beau jardin. Un chêne séculaire y trônait, insensible aux manques de soins, elle en était jalouse, comment un être vivant peut continuer à se tenir droit, fier et fort malgré l'absence.

L'arbre racontait une histoire, serein il drapait un coin du jardin de son ombre généreuse, invitant à ce qu'on s'y réfugie. Elle ne put résister plus longtemps à cet appel, et c'est dos contre le tronc imposant et noueux, diffusant en elle cette sagesse séculaire qui la rend sereine qu'elle se mit à rêver.

Une gorgée de lait, tandis que sur sa chevelure déployée, des tâches de lumière du soleil dansent telle une jolie dentelle mouvante.
Ses yeux balayent chaque parcelle du jardin, imaginant ici le kiosque, là une roseraie aux roses opulentes, parfumées à en suffoquer, là du thym, et ici un verger aux arbres fruitiers plantés avec soin. Et au fond là bas elle plantera un jardin fou, à la beauté sauvage, déployant de longs, de courts, de colorés feuillages autour d'un banc caché.

Elle les entendait d'ici le cris de leurs enfants, Tancrède et celui à venir, courant partout. Elle les voyait eux, semant, labourant la terre, y plantant des fleurs vivaces, fragiles et belles, et des arbres qui prendront racines dans leurs coeurs pour tendre vers le ciel avec leurs branches déployées, ivres de liberté.

Elle se releva soudain, s'approchant de cette partie du grand jardin qui sera un verger. Elle y tient, elle veut que le premier arbre soit celui de Tancrède, il grandira avec lui, et un autre le sera également à la naissance de leur enfant, les accompagnant tous deux durant leur vie.

Soudait elle vit le père Thomas, jardinier émerite, aux pouces verts à qui elle avait donné rendez vous, et qui s'y connaissait mieux qu'elle dans les secrets de la terre et des vergers.
Aelyce, elle, rêvera le jardin, et lui de ses mains l'accouchera et le fera naître.
Elle attendit qu'il l'approche, et le saluant d'un sourire elle lui montra d'un geste du menton l'aile ouest du jardin

-Je les vois ici les arbres fruitiers, qu'en dites vous mon père?

Messages : 1 Date d'inscription : 01/09/2009

C'est avec une douleur au coeur qu'il avait pénétré à l'enceinte du château, voyant soudain ce jardin qu'il avait lui même entretenu il y'a longtemps dans un état aussi délabré.
Ses traits ridés, cachaient dans chaque ride un souvenir telle une graine jalousement cachée dans un sillon de terre et qui attend je ne sais quoi pour germer. N'avait il pas vécu ici il y'a longtemps son premier amour, un amour ravageur, une passion fulgurante avec une noble de la famille du baron Theognis..n'avait il pas découvert pendu à ce chêne le cadavre d'un homme à moitié déchiqueté par les corbeaux, et là dans ce coin, combien de fois avait il surpris un autre parent en plein adultère avec une amie de son épouse, et ailleurs un feu avait pris, brûlant se propageant depuis la réserve à foin..

Puis le temps a fait qu'il est parti, que le château pour un moment fut abandonné, mais il n'était jamais loin, dans sa ferme il attendait la mort serein, son oeil droit ne voyait plus bien, son bras gauche est continuellement engourdi.
Jusqu'à ce qu'un vougier vint le chercher, lui annonçant que la nouvelle châtelaine cherchait celui qui s'occupait dans le temps du jardin.
Au début il pensait refuser catégoriquement, il a mis tellement de temps à refermer des blessures, le jardin allait les réouvrir, et lui aspirait à la paix..fragile et fugace paix.

Mais quelque chose le fit se relever, et remettre d'une main tremblante son chapeau sur la tête, décrocher du mur un coutelas dentelé qui lui sert à élaguer les rosiers, il avait suivi le vougier en silence tandis qu'il lui racontait comment le château revivait.

Arrivé à hauteur du jardin, il s'était pourtant préparé à voir des friches, mais pas à ce point! des ronces envahissaient l'espace, des herbes hautes, de la luzerne, de la moutarde blanche, et des fougères à moitié séchées.
Une dame élégamment vêtue l'attendait, semblait le reconnaitre, puis d'un sourire et d'un geste de la tête elle le salue, et avant même de se présenter elle même, elle l'appela par son prénom le décontenançant, lui demandant d'avance ce qu'il pensait.
Quand on aime les plantes, on sait où réside l'essence même des choses et cette petite était sans fioriture, il lui tendit spontanément son bras et malgré un étonnement furtif dans ses yeux elle le prit gracieusement, et à pas aussi lents et irreguliers que sa hanche douloureuse le lui permettait, ils se dirigèrent un peu plus loin que l'endroit indiqué

-Mon enfant un verger serait mieux ici, les fleurs des arbres fruitiers craignent le gel, elles sont aussi fragiles qu'un joli brin de femme dont on brise le coeur et fanent vite hélas, je propose cet emplacement à l'abri des vents froids, sans parler des petites rigoles d'eau qu'on peut plus facilement amener ici que là bas, le potager ne sera pas loin et certains légumes repoussent certains insectes comme la cochenille, sans parler de l'ensoleillement, ils seront mieux servis en lumière de soleil ici que là bas

Il se baissa les yeux perdus à l'horizon, empoignant de la terre entre ses doigts secs à la peau ridée, tannée, aux ongles cassés avant de rajouter d'une voix aussi grasse que la petite motte qu'il petrissait à présent

Mais c'est à vous que revient le choix définitif ma dame, je ne suis qu'un vieux qui radote, je vous conseille comme vous l'avez demandé tout juste..

Messages : 21 Date d'inscription : 11/08/2009

Elle l'écoutait parler surprise par la profondeur qu'avait sa voix, ses pas reconnaissaient chaque centimètre carré, l'aisance avec laquelle il reconnaissait les lieux, son regard possessif et tendre sur le jardin, animé d'une douleur certaine, tout attirait les yeux d'Aelyce pour fixer ceux du vieil homme, essayant de déchiffrer dans ses traits, un passé enfouit.
Aelyce se mit à genoux à son tour, l'imitant elle soupesa une motte dans sa main laiteuse, qu'il était bon de sentir la terre. Certes elle était partout la même, seuls les Hommes changent, mais celle ci lui était précieuse plus qu'une autre, elle a été foulée par l'homme qu'elle chérit, elle a donné les légumes, le blé, les fruits qui l'ont nourri, elle est témoin de son grand bonheur, que de raisons de la mettre aujourd'hui en valeur

-Mon père..Si je voulais n'en faire qu'à ma tête, je ne vous aurais pas appelé, ce n'est pas votre santé qui vous permettra de travailler la terre, vous dirigerez une équipe de paysans, et le verger, comme le potager, nourrira les habitants du château mais aussi ces mêmes gens qui l'auront planté..jamais nous les oublierons..
Faisant tomber la terre de sa main délicatement, elle regardait l'horizon avant de chuchoter d'une voix fluette

-Je suis une déracinée ici, mes racines sont Gasconnes..j'ai parcouru les routes, je ne me suis pas installée longuement quelque part. Ici je vis enfin quelques moments de stabilité, ces arbres que nous planterons symboliseront ce passage de ma vie..mais tout est temporaire..l'appel de l'épée, du fer, des routes restera le plus fort..nous sommes toujours prêts à partir et j'aurais besoin de vous pour vous établir dans cette petite cabane au fond du jardin et ne plus jamais le délaisser...Juste que...
Elle baissa les yeux quelques instants, un doigts dessinant des ronds sur la terre
-Théo et moi nous ne sommes pas riches, notre fortune sert pour nos études, précieuses à nos yeux, donc ne vous attendez pas à recevoir un salaire mirobolant..Nous vous offrirons la nourriture, le gîte et des écus en fonction des entrées..A vous de décider si vous voulez rester ici ou pas dans ces coditions, qu'en dîtes vous?